Fatigué… mais joyeux ! Petit traité (inachevé) du pouvoir d’agir en salle de classe
Il m’est arrivé un jour de commencer une formation par ces mots : « Aujourd’hui, je n’ai pas de PowerPoint, mais j’ai du pouvoir d’agir. » Rires gênés dans la salle. Puis, peu à peu, nous avons osé expérimenter, nous tromper, recommencer. À la fin, une collègue m’a glissé : « C’était fatigant… mais joyeux. » Cette phrase ne m’a plus quittée.
C’est à partir de là que j’ai décidé de creuser une question qui me tient à cœur : qu’est-ce qui fait qu’un enseignant, malgré les contraintes, les réformes, les classes parfois remuantes, garde l’énergie et l’envie de faire apprendre ? Mon mémoire en sciences de l’éducation explore cette piste : la joie, le pouvoir d’agir et la manière dont tout cela peut transformer nos pratiques.
La joie : Spinoza ou Nietzsche, team thé ou team café ?
Chez Spinoza, la joie est limpide : elle n’est pas une émotion passagère, mais une augmentation de notre puissance d’agir, un mouvement vers plus de vie. Autrement dit, on se sent joyeux quand on se sent plus vivant, plus créatif, plus capable.
Nietzsche, lui, a une vision plus corsée. La joie, selon lui, ne se savoure pleinement qu’au cœur de l’épreuve et elle engage le corps tout entier. C’est ce frisson vital qu’on ressent physiquement après avoir traversé une difficulté. Une joie musculaire, presque dansée, comme celle d’un coureur qui franchit la ligne d’arrivée en sueur.
Entre Spinoza et Nietzsche, il y a donc deux écoles de la joie. L’une ressemble à une tasse de thé en salle des profs après une bonne séance (merci Spinoza), l’autre à un double expresso serré, avalé à 6h du matin avant un voyage scolaire (merci Nietzsche). Dans les deux cas, c’est une énergie qui circule… et qui nous met en mouvement.

Le pouvoir d’agir et l’ingenum : pas un superpouvoir, mais presque
Le pouvoir d’agir, ce n’est pas « avoir tous les pouvoirs », mais retrouver une marge de manœuvre. C’est la capacité à transformer une situation contraignante en occasion d’inventer.
Un exemple tout simple : un vidéoprojecteur qui tombe en panne et une classe déjà agitée. On peut se sentir bloqué, ou bien mobiliser son ingenum. Cette faculté singulière à relier, improviser, inventer du sens. Dans ce cas, lancer un débat mouvant sur le thème du jour, et transformer un contretemps en ressource pédagogique.
C’est ça, l’ingenum en action : inventer, relier, détourner la contrainte pour retrouver de la puissance d’agir.
Enseigner autrement : la contagion joyeuse
J’ai pu en faire l’expérience directe. Un collègue de lycée pro a mené une expérience inoubliable. Pour travailler la poésie avec ses élèves de seconde pro, il a mené une véritable opération commando : les murs du lycée, la cour de récréation, les tableaux des salles de cours, même les portes des WC se sont retrouvées « tagués »… non pas de graffitis anonymes, mais de vers écrits par les élèves eux-mêmes.
Résultat ? Le lycée entier est devenu un recueil à ciel ouvert. Les élèves se sont sentis fiers de voir leurs mots affichés partout, les enseignants ont souri en découvrant des éclats poétiques sur les murs, et l’énergie s’est propagée bien au-delà de la classe.
Et que les ronchons se rassurent : les graffitis avaient été réalisés à la craie… et les élèves ont tout nettoyé ensuite. Comme quoi, même l’éponge peut devenir complice de la poésie !
Voilà un bel exemple de joie contagieuse : une initiative un peu décalée, qui transforme un exercice scolaire en expérience collective, et qui donne envie à d’autres d’oser à leur tour. C’est l’effet domino : un geste pédagogique, une étincelle de joie, et tout un collectif qui s’empare de l’énergie. La joie n’est pas seulement un ressenti individuel, elle circule et alimente la dynamique d’équipe.
En guise de conclusion provisoire : la fatigue joyeuse
Je n’ai pas de recette miracle (et encore moins de baguette magique – je l’aurais déjà utilisée pour corriger des copies !). Mais je retiens ceci :
- La joie, chez Spinoza, est une force vitale.
- Chez Nietzsche, elle se vit dans le corps, au prix de l’effort traversé.
- Le pouvoir d’agir, chez les enseignants, est un levier précieux, mais il a ses limites : il ne peut pas toujours se déployer seul, sans cadre ni soutien collectif.
- L’ingenum, cette capacité à relier et à inventer, ouvre des possibles insoupçonnés.
- Et la joie, lorsqu’elle circule, devient contagieuse et transforme une équipe entière.
La suite ? J’espère l’écrire bientôt, quand mes recherches de terrain viendront nourrir ce petit traité inachevé.
En attendant, la prochaine fois qu’on vous demandera : « comment ça va ? », osez répondre : « Fatigué… mais joyeux. »
